L’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle est quelque chose de très structurant dans ma vie. Je suis passionné par les deux aspects : ma famille, une grande famille très étendue, et mon métier ; donc mon quotidien est une « jonglerie » permanente. L’un des moments fondateurs de ma vie est d’ailleurs la rencontre avec une coach, Pascale Faber, dans le cadre de mon mémoire de fin d’études. Pascale m’a fait découvrir le nécessaire équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.  Aujourd’hui j’ai 5 enfants issus de deux mariages et un métier prenant et passionnant donc c’est une question cruciale pour moi, sur laquelle je reviens souvent.  

J’ai fait des études d’agriculture puis j’ai découvert les sentiers de l’innovation. Je me suis donc intéressé à la recherche et au développement et au monde de l’entreprise. J’ai fait de la R&D et du marketing dans une coopérative agricole puis un peu de développement commercial dans le monde de la Meunerie qui fabrique des farines prêtes à l'emploi. Depuis 2005, je suis dans mon entreprise actuelle. 

Ce qui me passionne, ce sont les gens. J’aime la relation humaine, comprendre les histoires personnelles, comprendre les vies des autres pour essayer de les améliorer. Il y a différents leviers à notre disposition pour essayer de changer le monde, de le rendre meilleur. Pour moi, l’un d’entre eux est l’éducation. Je donne à mes enfants les outils et les armes qui leur permettent de décoder le monde très complexe dans lequel nous vivons. Par exemple, j’ai installé chez eux le réflexe de lire la presse papier. Ils vont chercher l’information dans les journaux plutôt que sur leur téléphone. Cette éducation elle se transmet aussi dans les actions quotidiennes, comme trier les déchets, prendre le vélo pour se déplacer.  

Dans ma vie professionnelle, c’est aussi une forme d’éducation qui permet de contribuer à un monde meilleur. Le fait d’avoir intégré les programmes Ashoka au sein de mon entreprise permet aux employés de devenir acteur du changement, ou du moins à comprendre ce que cela veut dire, être acteur de changement systémique. Je pense que la graine est plantée est qu’elle commence à germer. Ces temps-ci, on a donné un grand coup d’accélérateur. On organise un comex avec un intervenant extérieur pour continuer d’ancrer cette notion d’entreprise régénératrice, c’est-à-dire d’entreprise capable de régénérer un certain nombre de choses pour avoir un impact positif dans chacune de ses actions. 

La génèse de cet investissement pour l’entreprise, ça remonte à mon arrivée en 2005. Je venais du secteur de la boulangerie que j’ai dû quitter pour cause d’allergie mais où j’étais très heureux. J’ai un profil scientifique, je viens d’une famille scientifique et c’est comme ça que j’ai abordé les choses quand je suis arrivé ici, par l’angle de la chimie. J’aime bien ce métier, les gens vers lesquels on va, les éleveurs, l’industrie alimentaire, la restauration à domicile. Je suis sensible à la notion de sécurité des aliments. Il y a des gens qui peuvent mourir d’intoxication alimentaire, comme par exemple lors de cette affaire de steack hachés il y a quinze ans. On avait été incriminés à l’époque mais on en est sortis complétement blanchis.  

Il y a un autre événement qui m’a marqué, c’était il y a cinq ans, lors d’un voyage en Afrique, au Kenya. On supervisait une installation de solution de purification d’eau dans les écoles. J’étais dans la banlieue de Nairobi, je visitais une école évidemment très pauvre. Là, j’ai passé un moment incroyable avec la directrice, au milieu des enfants. Elle m’a pris dans ses bras et elle m’a dit, « Sébastien, vous vous rendez compte de ce que vous faites ? Vous offrez un avenir scolaire aux enfants du Kenya ! » J’ai compris que notre mission n’était pas seulement la sécurité des aliments, mais aussi de permettre à ces enfants d’aller à l’école pour y trouver l’eau potable qu’ils n’ont pas à la maison. Le soir, ils repartent avec plusieurs bouteilles d’eau qu’ils rapportent à leurs parents ébahis. Cela a été pour moi un véritable révélateur.  

En parallèle de tout cela, on a commencé à réfléchir à notre trajectoire RSE. Je me suis formé dans cette perspective parce que pour moi, c’était surtout du bon sens. On a échangé avec des consultants externes. J’ai pris conscience que nous faisions un métier à risques parce qu’il dépend d’une industrie qui elle-même dépend de l’énergie fossile. On s’est dit qu’il fallait changer les choses, aller voir ce qui se faisait ailleurs pour trouver des relais pérennes. C’est comme ça que nous avons rencontré Ashoka.  On a compris, en échangeant avec eux, qu’il allait falloir former beaucoup de monde dans l’entreprise pour accéder à un changement systémique. On dit en général qu’il faut 15% de la population sensibilisée, formée pour faire levier et essaimer le message auprès des 85% restant.  

J’ai donc commencé par faire la formation Ashoka pour être crédible auprès des équipes et avoir une légitimité. Cela a été une révélation : j’ai découvert des gens, j’ai découvert des outils, j’ai découvert une ambition incroyable, une manière d’éduquer qui n’était pas forcément en phase avec celle de l’entreprise et qu’il a fallu adapter. On a mis en route la première cohorte, aujourd’hui on en est à la 3e, et on va en avoir une 4e. on a formé plus d’une cinquantaine de salariés. On assiste vraiment à cet effet boule de neige, le « snow ball effect » et c’est très satisfaisant.  

Chez les gens qui ont été formés, on constate une réelle évolution, une amplification des soft skills. C’était vraiment l’objectif de la formation versus les compétences métier : quelles qualités humaines je vais mobiliser et développer, quelles qualités humaines seront nécessaires pour aborder et piloter le changement. Le premier effet, je l’observe sur les ambassadeurs qui ont été formés au programme et constitue la communauté – qu’on appelle chez nous Community different. 100% d’entre eux ont une sensibilité, une bienveillance supérieure à celle de leurs pairs dans l’entreprise. Certains l’ont naturellement (c’est mon cas par exemple), d’autres l’ont développée grâce à la formation. J’ai l’exemple de notre directrice RSE qui a complétement modifié son management. Cela fait 17 ans que je la connais, et auparavant elle n’aurait jamais commencé sa réunion en me parlant de bienveillance entre collaborateurs. 
 
Ce que cela m’a apporté à moi, ce sont des outils qui permettent de s’auto critiquer. Je suis de nature bienveillante, peut-être un peu trop. D’ailleurs quand je suis entré dans le monde du LBO j’ai été coaché. Tout mon entourage me disait, toi tu es un bisounours, si tu ne t’armes pas tu vas te faire dépecer. Ce coaching m’a permis de décoder ce monde-là et de mieux me connaître. Plus tard avec la formation Ashoka, j’ai appris à regarder le management différemment, à morceler le process pour comprendre à quel niveau c’est bloqué. On revient à la source du blocage et on embarque les gens dans cette façon de voir les choses. Toute cette méthodologie je ne l’avais pas avant Ashoka. En tant que manager aujourd’hui cela fait partie de mes forces. J’ai l’impression d’avoir réussi à concilier le monde du LBO, qui est un monde financier où l’objectif est de retourner de la valeur aux actionnaires qui ont investi, avec une histoire entrepreneuriale qui intègre des collaborateurs investis à 200%. Il fallait trouver un moyen d’emmener tout le monde avec nous. Moi tout seul, cela n’aurait pas marché. Il a fallu convaincre les managers autour de moi, non seulement d’adhérer au projet mais aussi d’investir. On a réunis les membres du fonds d’investissement à saint Malo, au Palais du Grand Large. Je me souviendrai toujours de ce moment parce que c’était exceptionnel. 80 personnes dans un amphithéâtre, c’est quand même beaucoup de monde ! La réponse a été unanime, tout le monde m’a dit « on y va ». Quelques semaines plus tard, nous avons reçu les souscriptions et les investissements. Le fonds m’a appelé, m’a dit « on n’a jamais vu ça », on n'a jamais fait cela en LBO primaire, on n'a jamais vu autant d’engagement. 

Puis on a poursuivi notre démarche quelques années plus tard en ouvrant l’investissement à tout le monde et dans tous les pays, y compris ceux où juridiquement c’était compliqué. On a eu 44% des gens, soit presque un salarié sur deux qui a investi son propre argent. Et pour donner une cohérence, on a fait quelque chose que personne ne fait, qui existe que très rarement dans une boîte sous LBO. Le système d’incentive mis en place pour les salariés actionnaires est le même pour tous, quelle que soit sa position dans le Groupe. C’était un autre objectif que j’avais, un objectif de partage de valeur, une façon de dire au monde de la finance « vous ne pouvez pas tout garder pour vous ». C’était aussi une façon d’être en accord avec les valeurs de l’entreprise, qui sont des valeurs familiales, d’entrepreneuriat. Ce système d’incentive que nous avons mis en place et qui a déjà fonctionné à la fin du LBO1 a changé la vie de certains collaborateurs(trices) : les témoignages ont été d’une émotion incroyable. 

Pour unifier tout cela et éviter les incompréhensions d’une culture à l’autre, d’un pays à l’autre, nous avons mis en place la formation process com. C’est devenu une étape obligatoire de nos procédés d’intégration. Bientôt la notion de changemaker fera aussi partie intégrante de notre processus d’intégration. Cela est ma manière à moi d’installer un changement systémique au sein de l’entreprise. Pour avoir de l’impact, il faut que les gens se forment mais aussi qu’ils puissent échanger entre eux, communiquer. 

J’ai cinq enfants, je suis d’un naturel optimiste et tout ça fait que je ne me résous pas à leur laisser en héritage quelque chose avec lequel je ne suis pas pas en accord et dont je ne serais pas fier. Une entreprise comme celle dans laquelle je travaille, qui fait de la chimie, si au moment où j’en sors j’ai apporté du digital, de la biotechnologie, que j’ai réduit l’empreinte carbone… je me dis que je laisse quelque chose de plus propre que ce qu’on m’a laissé il y a vingt ans. Je ne suis pas juste quelqu’un qui regarde des tableaux excel, et mes collègues non plus. C’est devenu une marque de fabrique chez nous, l’humain et le care. 

Une grande partie de qui je suis et de mes idéaux me vient de ma grand-mère. Elle, c’était un de ces héros ordinaires. Elle était très croyante et elle a toujours inculqué à ses enfants, ses huit enfants et à nous ses petits-enfants des messages de bienveillance et de cohésion familiale qui ont perduré. Il y a encore quinze jours, nous avons fait une réunion de famille. Nous étions une petite centaine et tellement heureux de nous retrouver. Pendant deux jours, cela respire la joie, le rire et le bonheur. Dans le monde que l’on vit aujourd’hui, d’avoir la capacité de vivre des moments comme ça c’est exceptionnel. C’est important pour moi de transmettre cela à mes enfants, leur expliquer, ainsi qu’à toutes les générations futures d’où ça vient pour qu’ils puissent le pérenniser et le reproduire.  

J’essaie autant que possible d’être dans le vrai.  Je n’aspire à rien d’autre que d’être un héros ordinaire. Je voudrais que l’on dise de moi, quand je disparaîtrai, cette personne a servi à quelque chose et a eu un impact positif.