J’ai pu le constater depuis vingt ans que je suis dans le milieu sportif : le sport est un vecteur d’insertion sociale et de développement personnel. Le sport développe des valeurs – ce que l’on appelle maintenant les soft skills – comme l’esprit d’équipe. Ces qualités-là vont aider à l’insertion sociale, à la cohésion. C’est un cercle vertueux.  

J’ai beaucoup d’exemples. On a organisé une course à vélo entre les employés d’un magasin et des personnes à mobilité réduite. Ils ont fait deux heures de vélo ensemble et au bout de ces deux heures, j’avais deux embauches.  

Le sport, l’activité physique au sens large, est accessible à tous. C’est un moyen pour des gens différents de passer du temps ensemble, d’apprendre à se découvrir et à lever des préjugés. Moi, c’est ce qui m’intéresse : créer du lien avec les gens pour franchir les barrières et faire bouger les lignes dans la société.  

C’est vraiment mon travail aujourd’hui, je suis leader Diversité inclusion et impact social pour la Belgique. Mais je n’ai pas toujours fait ça. Comme beaucoup, ce qui a contribué à modifier mon parcours, c’est ma vie personnelle. Mon moment « aha », c’est la rencontre avec ma femme. C’était à Lille. Elle était là parce qu’on lui avait refusé son visa pour Londres. Je savais que cela existait, intellectuellement, que des personnes demandaient des visas pour passer d’un pays à un autre ; mais je ne m’étais jamais trouvée confrontée à cela dans la vie réelle. Je n’avais jamais vraiment intégré que certaines personnes ne pouvaient pas aller où elles voulaient. Je me suis dit, « wahou, il y a une réalité autour de moi, complétement différente de la mienne et dont je n’ai pas conscience ». Cela m’a rendue très curieuse, d’aller explorer la réalité des gens, de comprendre les barrières auxquelles ils étaient confrontés, autant d’obstacles qu’en tant que blanche, européenne, je n’ai pas rencontré. Aujourd’hui, je suis mariée avec cette femme qui est kenyane, notre fille de 13 ans vient des Etats-Unis et nous vivons en Belgique ; nous sommes donc en plein dans la multiculturalité ! 

J’ai mis du temps à arriver là où j’en suis, à ce poste-là. Il a fallu exercer beaucoup de lobbying. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je suis partie en Belgique. J’avais eu une discussion avec le CEO au siège, en leur expliquant mon projet et mon intérêt pour la partie diversité et inclusion, donner les mêmes chances à tous les collaborateurs. Moi-même je n’ai pas fait d’études et j’ai eu la chance d’être embauchée par cette entreprise, d’y exercer plein de métiers différents. Ça n’a jamais été un frein de ne pas avoir fait d’études. Quand j’ai échangé avec le CEO, que je lui ai expliqué mon envie, il m’a tout de suite conseillé de quitter le siège. J’ai commencé mon exploration. J’ai rencontré le patron de la Belgique, je lui ai dit que mon projet était de donner à chaque collaborateur les mêmes chances d’évoluer dans l’entreprise. Tout de suite, il m’a dit, « viens chez nous ».  

Aujourd’hui, j’ai cette chance d’exercer un métier à impact, lever les freins au sport et à l’emploi. Mon travail agit directement sur le quotidien des jeunes, des moins jeunes et de collaborateurs de la société. Au début, la partie sociale est venue assez naturellement mais pour la diversité, il a fallu que j’aille chercher dans les communautés car eux ne venaient pas spontanément vers nous. Et c’est là aussi que je lie les deux, la partie diversité et impact sociale. 

Quand je suis arrivée en Belgique, j’ai pu mettre en place pas mal d’initiatives, notamment des meetings diversité et inclusions ouverts à tous, en interne et externe, à d’autres compagnies, même nos concurrents. Le message que nous voulions faire passer c’est que la diversité nous concerne tous et il faut qu’on y aille ensemble. Ce n’est pas un sujet ou l’on est en concurrence. L’an dernier, on a vu la création d’un service diversité à l’international ! On a commencé petit en Belgique et c’est remonté comme un sujet majeur dans l’entreprise. C’est très gratifiant. 

On a ouvert récemment une salle de boxe à Bruxelles qui propose aux jeunes une heure de sport gratuite. Voir les ados, qui arrivent 30 minutes en avance pour s’échauffer et être sûrs d’avoir l’heure de sport gratuite, ne pas en perdre une miette, les voir s’éclater, c’est un vrai bonheur. Ils progressent très vite, techniquement mais aussi en termes de confiance en soi. On a un groupe de filles, je peux vous assurer que l’on voit le changement physique mais aussi l’impact au niveau de leur développement personnel.  

Un autre exemple : on a fait un gros travail autour du hijab et l’interdiction de le porter en magasin. Aujourd’hui, j’ai une collaboratrice qui a été embauchée parce qu’on a réussi à faire changer les choses. Avant, on lui aurait dit non, là on lui a dit oui. Cela fait six mois qu’elle a commencé, qu’elle fait des merveilles et surtout qu’elle s’épanouit dans son travail. On voit directement l’impact sur quelqu’un qui n’avait pas accès au travail parce que c’est sa religion et qui maintenant travaille chez nous et ça se passe très bien. Ce sont des exemples très concrets mais c’est ce qui me fait plaisir, c’est de voir que les choses changent, qu’on a des discussions qu’on n’avait pas il y a 5 ans. Les gens commencent à s’ouvrir, les esprits s’élargissent.  

Je travaille aussi sur les croyances, ces idées qui sont ancrées en nous alors qu’elles n’ont aucun fondement légal ou autre. Par exemple, il n’est pas besoin d’attendre 18 ans pour avoir un job étudiant. Ce sont des croyances qu’il faut dépasser car cela freine l’accès des jeunes à l’emploi.  

Les valeurs d’inclusion et d’insertion se répandent dans le groupe et forcément, cela me touche beaucoup. Par exemple je viens de croiser un employé d’un autre magasin qui me dit qu’il vient d’embaucher un ancien détenu. Il avait besoin de conseil, de voir ce qu’il pouvait faire en termes d’adaptation, de retour progressif à l’emploi. C’est une démarche qu’il a fait spontanément, ce qui montre bien qu’il suffit de donner le bon exemple pour être imité ensuite. La petite graine, ou plutôt la goutte, les petites gouttes qui finissent par former des rivières.  

Je dirais qu’il y a deux leviers que tout un chacun peut activer en faveur de l’inclusion et de la diversité : la curiosité et l’écoute. Voici un autre exemple. Nous venons de commercialiser un bonnet de bain pour cheveux afro. L’idée est venue en discutant avec une personne racisée qui ne pouvait pas aller à la piscine car elle ne trouvait pas de bonnet de bain suffisamment grand pour faire tenir sa masse capillaire. Les actions viennent rarement de moi, elles viennent des personnes concernées, moi mon travail, c’est juste d’être à l’écoute, curieuse, aller vers les autres et ce sont eux qui me donnent les idées. Il faut aussi faire preuve de patience et de pédagogie. Quand j’ai informé mes équipes du lancement de ce bonnet XXL, ils m’ont dit « on est pas ouverts en Afrique ». J’ai du leur expliquer les choses. Le changement a lieu, mais sur du long terme. La résilience est importante.  

Sur des sujets aussi vastes et complexes que la diversité, l’impact social, il faut être très concret. J’essaie de parler aux gens, de prendre en compte leur situation, là où ils en sont. Moi je suis passionnée, au fil du temps j’ai beaucoup appris, j’ai un certain niveau de connaissance de ces sujets. Mais il y a des gens qui n’ont même pas conscience que cela existe. Donc d’être très concret permet d’embarquer aussi ces gens-là car ils voient tout de suite l’intérêt du sujet. Et j’essaie aussi de faire des choses qui leur parle par rapport aux équipes dans lesquelles ils sont. Par exemple, les directeurs commerciaux je leur parle de produit, de client… C’est un peu politique. Je leur explique que ce qu’on fait change la vie des gens mais aussi celle de l’entreprise : plus de gens qui font du sport = plus de chiffre d’affaires pour nous. Et je n’ai pas peur de le dire, il faut être transparent avec ça aussi. On reste un business.  

Je suis confiante pour le futur, celui des entreprises et celui de la société. Voir les jeunes si contents à la salle de boxe, voir ce que l’entreprise peut leur apporter, cela me rend très heureuse, c’est une grande satisfaction.  

C’est une génération, dont ma fille fait partie, qui est beaucoup plus avancée que nous en terme d’  « awareness ». Cela me fait penser que l’homme est bon, au fond de lui.  

Je suis un peu plus inquiète pour notre planète. Ma fille est aussi énormément inquiète. Mais plus je rencontre des gens, plus ma confiance remonte. C’est important aussi de se mettre en réseau avec des gens qui essaient de changer les choses. Cela fait baisser l’anxiété que l’on peut avoir quand on atteint un certain niveau d’awareness. C’est réconfortant de voir que l’on n’est pas seule à vouloir changer les choses.  

Il y a encore beaucoup de challenges à relever. Surtout sur ce type de sujets là, les principales barrières ce sont les croyances. C’est le plus compliqué, les croyances et avoir des conversations difficiles. Les gens, surtout en Belgique, n’aiment pas trop parler de ce qui ne va pas ou de ce qui est clivant. Les discussions difficiles c’est une grosse partie de mon travail et c’est ce que je dois surmonter, ce sont ces croyances qu’on peut avoir, ou moi ou les autres. 

Par exemple, il y en a encore beaucoup qui considèrent l’impact social comme de la fondation, de la philanthropie, qui ne comprennent pas le lien entre le business et l’impact social. Autant sur l’impact environnemental, chez nous surtout c’est assez clair, je pense que les gens ont bien compris. On a des activités business donc on a impact environnemental à minimiser, autant l’impact social du business, il y a encore beaucoup de gens qui voient ça comme de la philanthropie et donc le sujet qui passe en dernier. Ça ce sont des croyances aussi qu’il faut changer mais en fait c’est toute une culture qu’il faut changer. C’est la partie la plus compliquée. 

Ce qui me booste et me donne confiance, c’est aussi que des postes comme le mien sont créées régulièrement dans d’autres pays. On est passé de 6,7 pays à 25, 30 pays qui avaient soit quelqu’un temps plein sur la diversité et inclusion (DEI) ou mi-temps, ou des comités (ESG, groupes d’employés qui se mettent en mouvement) Il y a une belle duplication, c’est chouette de voir tous les projets qui émergent dans les pays. Ça m’avait fait plaisir. Après ça a été repris dans les équipes internationales, et ça c’est vraiment bien. 

Par exemple, le leader DEI international , c’est l’ancien DRH de l’Inde qui participait à mes conférence et ça l’a vraiment mis en action lui dans ce pays où ils ont lancé tout un programme, notamment autour de la place de la femme qui est une problématique cruciale en Inde.  

Autre chose dont je suis très fière, c’est d’avoir instauré les meetings ouverts à tous. Il y a eu des mises en mouvement dans d’autres entreprises, notamment un de nos fournisseurs qui était venu au meeting. Du coup, ils se sont dit « tient on ne ferait pas quelque chose pour les femmes qui travaillent dans l’usine ? » Ce sont des sujets ou il faut qu’on aille tous ensemble. Donc c’est important d’être transparent sur ce qu’on fait. Je ne dis pas qu’on est exemplaire ni parfait, loin de là mais on essaie de se mettre en action, de donner l’exemple.