Pour moi, agir pour le bien commun et un monde meilleur passe par l’éducation des enfants, leur éducation culturelle, l’ouverture sur le monde, l’ouverture aux religions, l’ouverture aux autres. C’est important de transmettre les bons messages, le plus tôt possible.

Cela passe aussi par la façon dont je consomme, j’estime que cela reflète qui je suis. En consommant des produits éthiques, qui limitent l’impact sur l’environnement, on pratique déjà une forme d’engagement assez fort. Je ne suis pas dans l’inconscience, dans le réflexe de prendre ma voiture systématiquement et d’acheter des vêtements neufs.

Je réfléchis, je me renseigne puis j’agis. C’est comme ça pour tous les gestes du quotidien. Je considère cela comme une attitude citoyenne. Par exemple, je préfère soutenir le boulanger du village, qui fait son pain sur place plutôt que celui qui est moins cher mais qui n’est pas local. Chaque jour, j’exprime ma conscience citoyenne dans cette attitude réfléchie.

Je viens d’une famille d’origine marocaine. Mes parents sont arrivés en France dans les années 70. Mon père a été déscolarisé très jeune. Quand il est arrivé en France, les études étaient quelque chose de particulièrement important. Il a repris l’école et il a passé un bac pro d’électro-mécanicien. Son rêve, c’était d’être pilote de ligne, mais il n’a pas pu faire les études pour. Tous les deux ans, il nous emmenait au salon de l’aéronautique. Dans notre quartier, on était les seuls à avoir des encyclopédies, un ordinateur.

Je viens d’un milieu vraiment populaire, contrairement au mythe qui voudrait que l’on vive dans des HLM mais qu’on se construit des maisons au Maroc. Mon père n’a jamais pu construire de maison au Maroc. Tout ce qu’il gagnait, il l’utilisait pour nous, pour notre éducation. Il achetait tout ce qu’il fallait, des livres et des encyclopédies dont on avait besoin pour faire des exposés par exemple. On était la bibliothèque du quartier, les gens venaient chez nous consulter nos livres. Les enfants s’installaient chez nous, faisaient leurs devoirs et repartaient. Cette dynamique, cette émulation, m’ont transmis une soif de connaissances, m’ont donné envie d’apprendre, d’aller le plus loin possible dans les études et dans la vie. Mon père m’a beaucoup inspirée, il m’a donné envie de tout mettre en œuvre pour réaliser mes rêves.

Mon premier rêve, c’était de travailler dans les laboratoires. Je me voyais déjà en blouse blanche ! Par-dessus tout, je voulais que mon père et ma mère soient fiers de moi. C’était mon leitmotiv. Je me disais, « il faut que tous ses efforts, tous ses sacrifices, il faut que cela paie ». J’ai donc fait un Bac+5 en chimie, j’ai postulé et tout de suite j’ai trouvé un travail. J’ai été amenée à faire différentes missions, à relever des défis. Ça me correspondait bien. Je formulais des produits d’entretien avec des matières pétrochimiques. L’entreprise dans laquelle je travaillais ne se souciait pas de son impact sur l’environnement. Du coup, j’ai été attirée par le challenge, le challenge de faire la même chose mais en limitant l’impact sur l’environnement.

En parallèle, j’ai pris conscience de quelque chose de très important. Oui, j’avais fait des études. Oui, j’avais un beau poste, une bonne situation, une voiture de fonction, une équipe à gérer. J’avais rendu mon père heureux. J’avais coché cette case. Pourtant, quelque chose manquait à l’appel, quelque chose de très important : la dimension éthique. Je ne me sentais pas bien, pas alignée avec ce que je faisais.

J’ai commencé à avoir des problèmes de sommeil. Je repassais mes journées en boucle, je me disais, ce n’est pas bien, ce n’est pas en ligne avec mon éducation, mes croyances, ma volonté de contribuer à un monde meilleur. J’avais cette phrase qui me trottait dans la tête : « si tu veux connaître le pouvoir de nuisance d’un moustique, enferme-toi avec une nuit ». Un moustique, c’est petit mais ça a un pouvoir de nuisance extraordinaire. Cela peut te faire passer une nuit blanche. Ça tourne autour, ça fait du bruit...

Je me suis dit la même en ce qui me concerne : je suis petite, mais j’ai un pouvoir extraordinaire. Je vais porter des messages qui vont ennuyer les plus gros que moi, qui ne sont pas dans cette même démarche de limiter leur impact sur l’environnement.

J’ai donc créé ma propre société, avec mon mari et on s’inscrit dans cette tradition d’entreprise familiale, avec des valeurs. Ma compétence, c’est de formuler des produits d’entretien, mais cette fois-ci en conscience de l’environnement. Nous fabriquons et portons sur le marché des produits qui ne vont pas coûter plus cher et qui auront moins d’impact sur la planète.

On ne s’inscrit pas comme une start up, ce que l’on cherche plutôt à faire c’est éduquer, faire de la pédagogie, partager avec les consommateurs, avec les citoyens.

On plante des graines, on partage un message. Nous, en vendant ces produits, et eux, en les achetant, nous sommes des acteurs de changement. Choisir, c’est déjà un geste citoyen. Nos clients ont un impact qui n’impacte pas leur portefeuille. Pour nous, c’est très important.

Je me sens donc, à la fois dans ma vie privée, via l’éducation de mes enfants et dans ma vie professionnelle, actrice du changement.

J’avais essayé de faire la même chose dans mon ancienne entreprise. Il y a eu un projet R&D qui m’a intéressée car l’objectif était de limiter l’impact sur l’environnement. Le problème c’est que le produit était plus cher et ne se vendait pas, parce que ce que voulaient nos clients, c’était des prix bas. C’était très frustrant.

J’ai été rencontrer le directeur commercial de l’équipe qui s’occupait de la France et du Benelux pour lui faire part de cette frustration. On travaillait sur de superbes projets d’innovation qui ne se vendaient pas. Je soupçonnais les commerciaux d’utiliser les mêmes arguments de vente que pour n’importe quel autre produit. Forcément, cela ne pouvait pas marcher.

Je lui ai proposé de créer un poste de support technique qui pourrait accompagner les équipes marketing dans leur discours et sur le terrain. J’ai occupé le poste pendant deux ans et j’ai adoré le faire. C’était une bonne chose de se mettre dans la peau des commerciaux. Je comprenais mieux les difficultés qu’ils rencontraient. Tout cela est une chaîne, depuis l’acheteur qui va choisir de mettre le produit en rayon, jusqu’au consommateur. Chacun, à son niveau, accompagne une démarche écologique. A charge du commercial d’expliquer au client, avec la publicité, pourquoi il paie 2 centimes de plus. Si c’est bien ficelé, bien expliqué, je connais peu de personnes qui refusent de mettre quelques centimes de plus quand ils savent qu’ils vont limiter l’impact sur l’environnement.

Donc moi à ce poste, j’ai poussé jusqu’au bout, jusqu’où je pouvais aller, mais cela restait limité, car même avec la meilleure volonté du monde, quand on évolue dans un système qui ne valorise que l’argent, c’est forcément biaisé. A un moment donné on est bloqué et on met dans le tiroir des projets d’innovations incroyables.

Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir créé ma société et la première chose que j’ai faite, c’est de rédiger ma charte éthique, les critères de qualité des produits, les matières premières interdites, les lignes de conduite comme proscrire les tests sur les animaux... Je valorise le chiffre d’affaires au même titre que l’impact. Je ne me considère pas comme une société qui veut faire de l’argent juste pour faire de l’argent. J’y met une attention et une intention. Le matin quand on commence notre journée, on met une intention positive, une envie de faire bouger les choses. Nous, notre intention première, c’est de limiter l’impact.

Après, le reste doit suivre. On développe des produits et les accompagne, on a une démarche pédagogique, on explique. Je ne peux tout simplement pas faire de marketing sans partager un message fort.

Nos apprentis, quand ils arrivent, ils n’ont pas forcément la fibre écologique. Ils sont comme beaucoup de jeunes, là pour trouver un travail. Quand ils repartent, ils l’ont ! Ce sont comme des cobayes. S’ils sont là et qu’ils avancent avec nous, c’est que je les ai convaincus. On constate après qu’eux aussi vont influencer leur entourage, leurs parents au premier chef. Ils vont les convaincre, par exemple, de baisser la température du lave-linge, d’acheter des produits plus écologiques etc. On a des échanges passionnants avec eux. Ils ont tous une vingtaine d’années et ils rêvent de voyages. On mesure vraiment la différence entre nos deux générations. Nous quand on est sortis d’école, on voulait qu’une chose c’était de trouver un travail, pas voyager. Je crois que je n’aurais jamais eu le courage de dire ça. Même si je l’avais pensé, je n’aurais jamais eu l’idée de dire ça devant mon employeur. En vérité, aujourd’hui, je pense qu’ils ont raison. Avant de commencer vraiment leur vie active, ils veulent rencontrer du monde, découvrir de nouvelles cultures.

Je pense aussi que c’est particulièrement compliqué d’avoir leur âge aujourd’hui. On vit une époque difficile, encore plus pour les jeunes, donc même si parfois ce qu’ils disent me heurte, je ne leur en veux pas.

Dans le cadre de notre société, nous avons aussi rejoint une association qui rassemble à la fois des petites boîtes comme nous mais aussi des boîtes internationales : Fédération de l’Hygiène et de l’entretien responsable (FHER), le syndicat de la profession. Le projet est d’accompagner des entrepreneurs sociaux en mettant à leur disposition des compétences, des outils, une expertise. Cela peut être par exemple, mettre à disposition les services financiers pour les aider à se structurer. Nous, on n’a pas tout ça, mais j’ai tenu à participer parce que j’ai une expérience de vie à partager.

Au-delà de mon expérience technique, j’ai un parcours atypique, je suis issue de l’immigration, je me suis battue pour arriver là où je suis. J’ai une mère qui est analphabète, encore aujourd’hui, elle ne sait pas lire, pas écrire. Ce sont des choses qui m’ont forgée, qui m’ont donné de l’élan. J’ai un chemin de vie qui me permet de comprendre ces entrepreneurs sociaux.

Finalement dans cette expérience, j’ai l’impression d’avoir appris beaucoup plus que je n’ai donné. J’ai rencontré des gens, j’ai partagé des choses... C’est vraiment très enrichissant, même si cela ne se transforme pas en chiffre d’affaires. Je valorise beaucoup l’échange, le partage humain. Tout le monde devrait valoriser cela. Mon heure d’expertise, je pourrais la valoriser, la monétiser, comme font les consultants. Mais je ne suis pas dans cet état d’esprit car pour moi, c’est un échange, un partage humain. Mon expertise je la donne, elle est gratuite, parce que c’est un message crucial et universel.