Ce que je peux vous dire aujourd’hui, après toutes ces années, c’est que je ne retournerai jamais à un travail traditionnel ! Je suis tellement reconnaissante pour tout ce que ce projet m’a apporté, pour toutes les personnes qui me font confiance et m’accompagnent dans cette belle aventure avec Ashoka.

Mon histoire avec Ashoka a commencé en 2010. Le projet Making More Health, qui vise à offrir un meilleur accès à la santé aux communautés et à leur bétail, en était à ses balbutiements. J’observais de loin, intriguée et très intéressée.

Puis, en 2013, j’ai eu l’opportunité de rejoindre le projet et j’ai commencé à travailler avec les entrepreneurs sociaux et les sponsors qui nous soutenaient. Nous avons progressivement développé les activités, en expérimentant au fur et à mesure. Nous n’avions pas de stratégie bien définie à l’époque. Je me suis demandée : comment créer une dynamique autour des entrepreneurs sociaux en interne, au sein de l’entreprise ? Que pourrait-on faire en externe pour travailler plus concrètement avec eux ?

J’ai eu l’idée d’observer les pratiques d’ONG comme la Fondation Karl Kübel, très active en Inde. Je suis partie sur le terrain, j’ai voyagé de lieu en lieu pendant dix jours, j’ai étudié les différentes actions et thématiques : l’agriculture, la santé, les femmes, les enfants. J’ai étudié leur business model, leur stratégie, tout ce qu’ils faisaient et comment ils le faisaient…

Puis je suis rentrée chez moi et j’ai demandé à notre sponsor d’envoyer un cadre sur le terrain pendant plusieurs mois pour démarrer une collaboration avec la communauté. Le programme Making More Health de Boehringer Ingelheim est intervenu comme partenaire, pas seulement pour le financement mais surtout pour déployer la stratégie et superviser les actions.

Je suis retournée moi-même en Inde, cette fois pour six mois, en tant que cadre en résidence, dans le cadre du partenariat avec Ashoka. J’ai travaillé avec l’ONG dans les villages tribaux, les hôpitaux et les écoles. Nous avons mis en place des sessions de formation sur les questions de santé, l’alphabétisation numérique et les avons aidés à créer des réseaux sociaux.

Ce que j’ai appris pendant ce séjour a été si important pour moi ! Cela m’a donné l’énergie nécessaire pour créer une dynamique au sein de l’entreprise. Nous avons commencé à parler de Making More Health, et l’information s’est répandue, ce qui n’était pas facile dans une entreprise comme la nôtre qui opère dans de nombreux pays. Il fallait être nombreux et convaincus !

En 2015, et chaque année depuis, j’ai organisé la « Leadership Week ». Elle a eu lieu en Inde, au Kenya… Des dizaines de « leaders » influents sont venus travailler avec les communautés, en dispensant des formations sur la santé et la sécurité à la maison, par exemple, comment mesurer la tension artérielle, comment bien manger, comment purifier l’eau…

J’ai pris conscience des liens forts entre les différentes problématiques de santé. Tout est lié : la prévention, l’accessibilité, la sensibilisation. Nous avons commencé par la prévention, visant à éviter que les populations tombent malades. Il faut prendre du recul et voir l’ensemble du processus, pas seulement une partie : comment sensibiliser, comment prévenir, puis comment faciliter l’accès aux soins ? On ne peut pas juste faire un examen à une femme, diagnostiquer un cancer du sein, et la laisser partir sans pouvoir s’occuper d’elle !

C’est encore un gros problème aujourd’hui, on ne voit pas la situation dans son ensemble. Je me rends compte à quel point il est important d’identifier leurs besoins réels plutôt que ce que l’on pense être leurs besoins.

L’aide est encore trop dispersée. Un bienfaiteur s’occupera de l’eau potable, un autre des enfants, un autre des femmes… Ce n’est pas tenable. Il faut apporter la bonne solution au bon moment tout en communiquant entre nous.

Il ne s’agit pas ici de mon intérêt ou de celui de l’entreprise qui m’emploie. C’est avant tout une question d’état d’esprit. Être capable d’aller au-delà de la simple phrase « je veux faire quelque chose pour changer le monde », mais plutôt de se demander : que puis-je faire avec mes compétences, avec mon réseau, avec mon énergie pour vraiment faire la différence ?

J’ai commencé à développer cet état d’esprit bien avant de rejoindre Boehringer Ingelheim, lorsque j’étais enseignante. J’ai vu des gens en grande difficulté qui manquaient de confiance en eux. Cela m’a fait prendre conscience des autres, de ce que je pouvais faire pour les aider à grandir et à évoluer. Alors, j’ai réfléchi à ce que je voulais vraiment faire de ma vie, de ma carrière. Est-ce que j’allais m’en tenir au chemin conventionnel proposé par l’entreprise ? Cela me semblait impossible. J’avais envie d’écrire une autre histoire.

Aujourd’hui, je peux dire que ce n’est pas facile. Il faut du cran. Il faut aller parler aux gens, les convaincre, les emmener avec soi. Au début, beaucoup d’entre eux ne comprennent pas ce que vous faites ou pourquoi vous le faites, tout simplement parce que cela va bien au-delà de la pensée traditionnelle, au-delà de ce que votre patron ou votre entreprise attend de vous.

Pour moi, c’était très important de construire un réseau, d’échanger avec des gens comme moi, qui ont le même état d’esprit, comme des entrepreneurs sociaux. J’aime être confrontée à d’autres idées, réflexions, questions… J’aime sortir de cette bulle conventionnelle, de cette pensée unique. Les choses ont commencé à changer, mais il y a encore beaucoup de tabous et de contraintes.

Une autre chose importante pour moi a été de trouver du soutien parmi mes collègues en interne. Au-delà de mon équipe et du service dans lequel je travaille, j’ai trouvé des gens qui m’ont rejoint dans l’aventure, qui ont aussi grandi à la lumière de ces belles initiatives. On est devenu un mouvement très puissant !

Vous me demandez comment j’ai réussi à embarquer tous ces gens. Je pense qu’il y a un élément qui a été déterminant : la passion. Sans passion, personne ne vous suit. Ils disent : « ok, c’est une belle histoire, mais il n’y a rien derrière ». À l’inverse, si vous êtes passionné par ce que vous faites, ils diront : « wow, c’est le métier de rêve, c’est génial, je veux le faire aussi ! ».

Ensuite, vous leur donnez l’opportunité d’en faire leur propre passion. Vous les envoyez à l’étranger, pour qu’ils vivent leur propre expérience avec d’autres communautés, pour vivre quelque chose de concret.

Vous commencez par quelque chose de simple qui ne prend pas beaucoup de temps. Une session d’échange culturel, par exemple, sur la gastronomie ou le sport. Quelque chose à laquelle ils peuvent facilement se préparer sans être un spécialiste. Vous les responsabilisez et leur donnez des responsabilités. C’est un schéma qui fonctionne : si ça se passe bien à ce premier niveau d’implication, la personne va prendre confiance et vouloir s’impliquer davantage. Par exemple, quelqu’un qui s’est engagé dans un programme d’échange culturel aura aussi envie de passer au niveau suivant, comme participer à la Leadership Week ou à une résidence exécutive. J’ai vu beaucoup de collaborateurs qui ont commencé leur histoire de cette façon. Je leur ai juste donné l’impulsion initiale. Je m’appuie sur ce qu’ils savent faire. Par exemple, Christian, du département de chimie, fait des savons. Je lui ai demandé d’aller apprendre aux communautés à faire des savons.

L’idée est de faire correspondre les besoins de la communauté avec les compétences de mes collègues. Il est important de bien connaître ses équipes. La Leadership Week est un moment clé pour identifier ceux qui veulent s’impliquer.

La plus belle récompense est de voir, de ses propres yeux, les améliorations au sein des communautés. De voir les puits d’eau potable, les femmes et les enfants en bonne santé, les écoles qui se remplissent. Le retour est immédiat, et c’est très gratifiant.

De voir que mon message, mon impulsion, a été compris et entendu. Le partenariat commence à se faire connaître. Tout cela me donne l’énergie de continuer, de m’impliquer davantage.

Nous sommes nombreux à vouloir changer le monde. Ce qui manque, ce sont les opportunités au sein de l’entreprise. Alors, les gens s’impliquent dans le social, mais dans leur vie privée. Ils ne savent pas qu’ils pourraient faire la même chose dans leur travail. Cela ne signifie pas forcément voyager dans des pays loin du sien, mais commencer par participer à des réunions, apporter des idées.

Il y a plusieurs bonnes pratiques qui m’ont aidé à rallier de plus en plus de collègues et à faire du projet un succès.

Il faut d’abord rester simple et clair. Plus la mission est concrète, plus il est facile pour eux de s’impliquer. Il faut être direct et accessible dans ce que l’on propose. Par exemple, demander à l’équipe marketing de donner une formation sur les réseaux sociaux.

C’est aussi un état d’esprit : penser différemment ce que l’on attend normalement d’une entreprise, c’est-à-dire : le mieux est l’ennemi du bien. Il n’est pas nécessaire d’être à 120 % tout le temps.

De plus, il est important de bien identifier les besoins. Quels sont les besoins de la communauté, quels sont les besoins de mon entreprise ?

Sortir de sa zone de confort. Dans la vie, on a rarement l’occasion de faire ça. À la maison, à l’école, à l’université, puis au travail… on est enfermé dans une case. Il faut en sortir !

En résumé, je dirais que les piliers de la réussite sont l’authenticité, la passion et la communication. Il s’agit de créer un réseau, de rassembler des individus dispersés et d’en faire un groupe. Établir des relations de confiance. Trouver les bonnes personnes, celles qui ont de l’influence ou de l’expertise, tout en impliquant aussi celles qui sont en bas de la hiérarchie. Entrer dans le système, saisir les opportunités. Je pourrais comparer mon rôle à celui d’un architecte qui choisit quel matériau va où… pour construire une maison solide.

Aujourd’hui, si mon entreprise arrêtait Making More Health, je me mettrais sérieusement à chercher un autre emploi. Je crois que c’est aussi une question d’âge. À 30 ou 35 ans, on prend moins de risques, on a des enfants à charge… À 50 ans, c’est différent. Vous pouvez vous permettre de prendre des risques et vous avez plus de réseau. Pour moi, les acteurs du changement sont la génération des 50-60 ans.

Pour conclure, j’aimerais partager avec vous un souvenir. En y repensant, je le considère comme un miracle, une chose étrange et belle à la fois. J’étais en mission en Inde, à la recherche d’une solution pour lever des fonds et améliorer la santé de la communauté.

C’est à ce moment-là que j’ai reçu un appel d’un professeur indien, que je ne connaissais pas et que je n’ai jamais revu. Il avait entendu parler des activités de mon entreprise en Inde et voulait faire quelque chose pour nous aider. Il était concepteur de jeux pour adultes et travaillait sur un nouveau projet. Nous avons décidé de nous associer et de créer ensemble un jeu basé sur des quizz. Les cartes couvraient différents niveaux de connaissances générales et étaient adaptées à des personnes d’horizons très différents